L’alimentation en Bretagne à l’horizon 2050 : quels enjeux de société ?

Rapporteurs : Edwige KERBORIOU et Gilles POUPARD

L’essentiel

La Bretagne, région de 3,4 millions d’habitant·es, en nourrit 20 millions1

Se nourrir est en premier lieu une nécessité vitale et universelle. C’est aussi une expérience individuelle autant que partagée, avec une dimension sociale et culturelle très forte. L’alimentation constitue en cela un « fait social total » tant elle témoigne de la nature des relations entre les personnes, des rapports entre les groupes sociaux et des traits culturelsd’une région ou d’un pays.

Les modes de consommation et les pratiques alimentaires évoluent sous l’effet des modes de vie, des valeurs et aspirations, des revenus et du budget consacré à l’alimentation, d’une offre alimentaire en perpétuelle innovation. Ces évolutions sont très contrastées et il reste difficile de les analyser dans leur globalité et leur complexité. Le large relais des médias témoigne de ce foisonnement émissions de découverte des richesses culinaires régionales, concours de cuisine, reportages sur les mouvements « locavores » ou « flexitariens », enquêtes sur la fabrication des aliments transformés ou sur la maltraitance animale, appels à la solidarité alimentaire, scandales sanitaires, impacts de la production alimentaire sur l’environnement ou la santé…

Ces évolutions prennent une coloration particulière en Bretagne, région de production agricole, maritime et agroalimentaire. Parmi les plus importants piliers du développement économique et de l’emploi, structurantes pour l’aménagement du territoire, les différentes filières alimentaires produisent, chaque année, de quoi nourrir 20 millions de personnes, alors que la région compte 3,4 millions d’habitants.

Mais les équilibres sont précaires. Les filières alimentaires, de la production à la restauration et la distribution, sont tiraillées par des contraintes multiples : fragilité des modèles économiques, métiers peu valorisés, pourtant essentiels au plus fort de la crise de la Covid- 19, empreinte environnementale questionnée… alors que, dans le même temps, les consommateurs·trices (le pluriel s’impose, nous le verrons plus loin)2 expriment des attentes multiples, parfois contradictoires.

Comment mangerons-nous, demain en Bretagne ? Face aux multiples enjeux soulevés par quelque chose d’aussi simple en apparence et aussi fondamental que l’acte de se nourrir, et dans un contexte lui-même en mutation, le CESER a choisi d’explorer, par la prospective, les évolutions des pratiques alimentaires en Bretagne, pour en comprendre les conséquences économiques, sociales et environnementales. Une double question traverse cette étude : à quels contextes nouveaux les consommateurs·trices et les producteurs·trices devront-ils s’adapter? Comment développer une faculté d’adaptation régionale à ces évolutions incertaines que l’on pressent sans pouvoir les identifier totalement ?

Le CESER vous invite à ne pas vous contenter du menu, à apprécier tous les détails et nuances de l’étude car il n’en présente ici que la substantifique moelle.

Sommaire

  • 1. Les déterminants de l’alimentation en Bretagne, aujourd’hui
  • 1.1. L’alimentation est liée à l’évolution des modes de vie
  • 1.2. La façon de s’alimenter évolue
  • 1.3. L’alimentation soulève des enjeux collectifs de plus en plus nombreux
  • 1.4. Les choix alimentaires répondent à de plus en plus de critères
  • 1.5. Des politiques publiques éclatées et une interpellation citoyenne
  • 2. Comment mangerons-nous demain en Bretagne ? Quatre scénarios prospectifs à l’horizon 2050
  • 2.1. Scénario 1 : l’alimentation fonctionnelle dans une société sous pression
  • 2.2. Scénario 2 : l’alimentation contrôlée dans un contexte de crises
  • 2.3. Scénario 3 : l’alimentation normée dans un contexte de sobriété volontaire
  • Quels enjeux collectifs ?
  • Quelles conséquences en Bretagne ?
  • 2.4. Scénario 4 : l’alimentation mosaïque dans une société fragmentée
  • 3. Les enseignements de la prospective
  • 1. Les déterminants de l’alimentation en Bretagne, aujourd’hui
  • 1.1. L’alimentation est liée à l’évolution des modes de vie
  • 1.2. La façon de s’alimenter évolue
  • 1.3. L’alimentation soulève des enjeux collectifs de plus en plus nombreux
  • 1.4. Les choix alimentaires répondent à de plus en plus de critères
  • 1.5. Des politiques publiques éclatées et une interpellation citoyenne
  • 2. Comment mangerons-nous demain en Bretagne ? Quatre scénarios prospectifs à l’horizon 2050
  • 2.1. Scénario 1 : l’alimentation fonctionnelle dans une société sous pression
  • 2.2. Scénario 2 : l’alimentation contrôlée dans un contexte de crises
  • 2.3. Scénario 3 : l’alimentation normée dans un contexte de sobriété volontaire
  • Quels enjeux collectifs ?
  • Quelles conséquences en Bretagne ?
  • 2.4. Scénario 4 : l’alimentation mosaïque dans une société fragmentée
  • 3. Les enseignements de la prospective

Les enseignements de la prospective

« Faire société » autour de l’alimentation… sous le signe d’une convivialité renouvelée

1. La nécessité d’approfondir les connaissances et la recherche. L’alimentation est un sujet largement documenté, mais encore empreint de ressentis, d’idées reçues, de contradictions, de paradoxes ou d’incertitudes. Certaines interrogations initiales, telles que la part de l’alimentation produite en Bretagne par exemple, ne trouvent pas de réponse simple alors même qu’elles peuvent être déterminantes pour l’action publique.

2. L’alimentation comme enjeu collectif. Alors qu’elle était une problématique essentiellement individuelle (nutrition, plaisir, budget), l’alimentation intègre de plus en plus des considérations environnementales, sanitaires, culturelles ou éthiques. Cette dimension collective croissante fait de l’alimentation un sujet de plus en plus important dans le débat public et un sujet majeur et central des politiques publiques.

3. Un jeu d’acteurs plus complexe qu’il n’y paraît. Les consommateurs sont multiples, complexes et, par leurs choix, ils engagent des évolutions majeures de la consommation. Cependant, par rapport à l’hypothèse initiale d’un pouvoir du consommateur sur la production alimentaire, il est nécessaire de prendre en compte un jeu d’acteurs beaucoup plus complexe. La demande reste déterminante pour l’offre, mais l’offre fait aussi évoluer la demande, et les politiques publiques peuvent influencer l’une et l’autre. L’alimentation se joue entre les consommateurs, les acteurs de la filière alimentaire dans son ensemble, et les institutions et les politiques publiques. Chacun a sa part devant les défis liés à l’alimentation, sans en avoir toujours conscience.

4. L’alimentation à l’épreuve de la mondialisation. L’insertion de la consommation et de la production alimentaires régionales dans des flux mondiaux est une réalité. Il existe une dualité entre une production à bas prix destinée aux marchés fortement concurrentiels, et une production plus coûteuse d’aliments répondant aux enjeux de nutrition, de santé, et internalisant les coûts sociaux et environnementaux. Cette dualité répond à la demande mais soulève une question éthique liée à l’inégalité des critères de qualité de l’alimentation dont on pourrait attendre une certaine universalité.

5. Un éloignement croissant entre production et consommation, qui commence à être remis en cause. On observe deux tendances contradictoires : une augmentation continue de la consommation d’aliments transformés avec une complexification des chaînes de valeur, et le renforcement d’un courant de relocalisation et de recours à des produits plus naturels. Aujourd’hui, rien n’est écrit sur la prépondérance d’un courant ou d’un autre à l’horizon 2050, ni même sur les contours d’une alimentation « locale » si celle-ci devait devenir la norme dominante.

6. Le numérique n’est pas déterminant en soi… s’il est régulé. Les outils numériques font partie intégrante de chacun des scénarios prospectifs, mais leur usage y est mis au service d’objectifs différents (individualisation, compétition, partage, régulation, contrôle…), et on voit combien ils pourraient bouleverser l’alimentation et la production alimentaire demain en Bretagne s’ils ne sont pas régulés.

7. Intégrer l’alimentation dans la perspective du développement durable nécessite une approche systémique. Le CESER propose de mobiliser le concept d’alimentation durable, définie comme « l’ensemble des pratiques alimentaires qui visent à nourrir les êtres humains en qualité et en quantité suffisante, aujourd’hui et demain, dans le respect de l’environnement, en étant accessible économiquement et rémunératrice sur l’ensemble de la chaîne alimentaire »5. Sous peine d’encourir les risques de dérives décrits dans les différents scénarios prospectifs, il est nécessaire d’avancer de front sur les trois dimensions du développement durable :

8. Confiance et démocratie en matière d’alimentation. Une appropriation plus approfondie de cette approche systémique par les consommateurs, incluant leur propre responsabilité, s’avère indispensable. Mais l’information qu’ils sont en droit d’attendre sur les produits est d’une telle

complexité qu’elle en devient inaccessible. Les indicateurs synthétiques permettant d’apprécier la « durabilité » de l’alimentation sont complexes à élaborer et n’existent pas ou sont imparfaits. Ils seront pourtant le point de départ d’une confiance renouvelée. L’alimentation peut-elle devenir un enjeu démocratique dans une société où les consommateurs éclairés et dotés des moyens financiers nécessaires décideraient de la façon dont doit être produite, transformée et distribuée leur nourriture et seraient prêts à en assumer individuellement et collectivement les conséquences ?

9. Les territoires au cœur des enjeux alimentaires de demain. La Bretagne compte 3,4 millions d’habitants mais en nourrit 20 millions. Si la consommation engagée augmente, et si les pouvoirs publics décident de faire de l’alimentation un outil de lutte contre le changement climatique et/ou de prévention de la santé publique, le système productif alimentaire breton ne pourra pas éviter des remises en cause. Il est nécessaire de dépassionner le débat sur le retour au lien au sol et de voir concrètement quelles pourraient en être les déclinaisons en Bretagne. Il faudrait sans doute à la fois « reterritorialiser » les filières traditionnelles, c’est-à-dire retrouver une connexion avec les territoires, et davantage « filièriser » les productions alternatives, c’est-à-dire mieux les organiser pour assurer leur efficacité et leur pérennité, leur permettre de produire les volumes attendus, à des prix acceptables.

Ce point constitue l’un de principaux enseignements de la prospective. Alors que la période actuelle tend à opposer les « modèles » de production comme de consommation et donc à renforcer les clivages, l’exercice prospectif nous montre au contraire que la seule issue réside dans une forme de convergence.

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