- Client : Gueuleton magazine
- Réalisation : rédaction et direction artistique du photo-reportage
- Année : 2021
- Partenaires : Elodie Villalon
Coquillages et fricassées
La pêche à pied, c’est l’activité sacrée des grandes marées de la côte bretonne, prétexte aux retrouvailles, aux grandes balades familiales et aux joyeux partages de victuailles.
A Saint-Suliac, l’un des plus beaux villages de France, situé en bords de Rance à quelques encablures de Saint-Malo, c’est un véritable art de vivre toute l’année. Ce petit port authentique entre terre et mer est un ancien repair de Terre Neuvas, ces mercenaires de la pêche à la morue. L’on peut y admirer quelques vieux gréements à voile aurique, de nombreux et typiques doris (embarcations secondaires des anciens trois-mâts) et une foultitude de pêche-promenade menant la vie douce.

En Rance maritime, on trouve encore quelques pêcheurs à pieds professionnels, qui fournissent d’ailleurs régulièrement la Cabane à Manger de Jacques, mais aussi des pêcheurs amateurs ici et là qui ont chacun leur technique personnelle et banc de sable fétiche.
Nous vous embarquons avec nous dans un après-midi comme les autres, au pied de la maison, sous un soleil radieux qui lui confère tout de même un petit brin de magie. Avec nous, notre acolyte producteur Axel de la brasserie Nautica toujours prêt pour une bonne bouffe ; Elodie, photographe des grands espaces et des artisans du goût ; Camille, cuisinière engagée ; et nos enfants Gustave et Jeanne, qui sont toujours aux anges quand il s’agit de se rouler dans la vase et de manger avec les doigts.
Le rendez-vous est donné « ruette » du port au riz, à droite du clos de l’église, en haut de la cabane du port. L’équipement est sorti de l’arrière cuisine, distribué dans la cour en observant la mer se retirer en contre-bas. Juste le temps de boire un café au soleil. Chacun son panier préféré, un premier fait de joncs tressés, un autre confectionné par un voisin en poche à huître, ou encore une traditionnelle bourriche en osier à clapet. En cette saison, le sol et l’eau se sont réchauffés, tout le monde – ou presque – descend pieds nus. Tout de suite, à flanc de rochers, on se sent en communion avec la nature…
Là aussi, chacun son ustensile de prédilection, chacun sa technique. Certains pêchent au ras de l’eau, oeuvrent à mains nus, et repèrent aisément les coques et palourdes posées sur la tranche, signe de fraîcheur. Nul besoin de creuser ici. À quelques mètres de là, d’autres sont à l’affût des trous de respiration observables dans la vase, d’où est expulsé un filet d’eau de mer lorsque l’on s’en approche. Les bons élèves se rendent sur les bancs de sable à quelques mètres du bord, tracent des sillons de 2 à 4 cm de profondeur à l’aide de leur trident, et récoltent minutieusement le fruit de leur patient labeur. Quoi qu’il en soit, c’est un travail d’équipe. Les paniers se remplissent à plusieurs.





Nous ramassons les palourdes comme les coques, en veillant à respecter une taille raisonnable. Ce jour là, pas de risque de dépasser le quota, tous commencent à rêver à l’apéro qui nous attend, il est temps de songer à rentrer.
En pratique
Les autorisations de prélèvement
- Maille minimale de la palourde : 4cm de diamètre
- Maille minimale de la coque : 2,7cm de diamètre
- Quota, par jour et par personne, tous coquillages confondus : 5kg
Les outils autorisés pour la pêche à pied des coquillages
- Couteau à main (longueur maximale 20cm)
- Couteau à palourde
- Trident
- Râteau non grillagé
Les dates de pêche
- Du lundi au samedi
- Du lever au coucher du soleil
Plus d’informations : https://www.ille-et-vilaine.gouv.fr/Politiques-publiques/Mer-littoral-et-securite-maritime/Plaisance-peche-de-loisir-et-loisirs-nautiques/Plaisance-Peche-et-loisirs-et-loisirs-nautiques
Sur le chemin, au bout de la pointe du Puy, nous nous arrêtons sur une grève sauvage chaque année abondamment jonchée de salicorne de juin à août. La salicorne n’est pas une algue à proprement parler mais une plante halieutique. Elle prend racine sur l’estran, cet espace entre terre et mer, recouvert à chaque marée haute, baigné de soleil à chaque marée basse. Elle est très abondante dans les pré-salés, notamment dans la baie du Mont-Saint-Michel mais aussi dans les recoins des estuaires bretons. Une seule règle ici : un tiers pour la faune sauvage, un tiers pour la repousse et un tiers dans le panier (cette règle vaut pour toute cueillette sauvage, des fleurs du sureau aux champignons en passant par l’ail des ours).
La salicorne, certains ne la connaissent qu’en saumure, et on comprend alors leur aversion pour le « haricot de mer ». Rien – franchement rien – ne vaut la salicorne juste cueillie, tout simplement rincée à l’eau et déposée en sommités sur un plat de coques au jus de citron ou sur une bonne tartine de pain au levain et de beurre salé.



Retour au bercail, les coquillages passent en cuisine. Tout de suite, ils sont rincés puis plongés dans une bassine à dégorger. Parfois il faut bien compter quelques heures, ou la nuit entière. Ce jour là l’eau est claire, il sera bientôt possible de les cuisiner. Et c’est tant mieux.
Première étape, cuire les patates, lancer le four. Ensuite, je prépare la farce beurre pommade, persil, sarrasin pendant que Jacques ouvre les palourdes à cru. Rapidement farcies à la cuillère, disposées dans le plat, elles passent sous le grill. Jacques tranche ensuite finement l’andouillette, une partie est sautée à la poêle et au beurre, l’odeur est enivrante. Mais pas autant que les délicieuses bières d’Axel, qui s’est empressé de les ouvrir. Sa Witbier infusée à la coriandre et citronnelle est parfaite avec les palourdes, tout juste sortie du four. On ne résiste pas à les déguster dans la cuisine, sur un coin de plan de travail, avec quelques tranches d’andouillette sauvées in extremis.
Il est temps de lancer la cuisson des coques : du beurre – toujours – des oignons, le reste de la bière artisanale et le tout va mijoter à feu doux. Une partie des coques tout juste ouvertes sont conservées pour être dégustées froides avec la salicorne. Dans le reste de la gamelle, on ajoute généreusement 3 cuillères de crème fermière, et on coupe le feu.
La fin de journée est exceptionnellement douce, la table est dressée dans le jardin. A l’ombre de l’arbre à papillon, à la chaleur des vieilles pierres baignées de lumières, la joyeuse tribu s’enthousiasme. Il est temps de déboucher les vins des bords de Loire dénichés par notre caviste préféré. Solen, un melon de Bourgogne en vin de France par le domaine de Bedouet en Loire Atlantique. Sec comme un muscadet traditionnel, léger et tonique comme un bon vin… Parfait comme entrée en matière.


Viennent ensuite les choses sérieuses : flanquée de patates au beurre, pelletées de coques en waterzoï, chips d’andouille au menu.
Jacques et Axel passent à la ketch, une bière rousse sombre et complexe, tandis que le reste de la tablée opte pour un classique mais non moins savoureux chardonnay bio de la Tourlaudière. Un verre à la main, en équilibre, Elodie grimpe sur une chaise pour capturer le repos du pêcheur. Camille en profite pour partager ses anecdotes culinaires marines, elle qui repart ripailler sur de vieux gréements en mer.
Le plaisir des coquillages réside aussi dans leur relative légèreté, il reste tout juste de quoi savourer une tranche de kouign amann et quelques fraises du coin, patrimoine culinaire breton oblige ; et à admirer le coucher de soleil en remerciant Mer Nature pour ses merveilles…
Coques, andouille, patates nouvelles en waterzoï
Pour 6 personnes
- 1 andouille (de Guéméné)
- 125g de beurre 1/2 sel de baratte (Bordier)
- 1,5kg de pommes de terre nouvelles
- 1 botte de persil
- 200g de crème fraîche entière
- 33cL de bière blonde artisanale (Nautica) + 1 pour l’apéro
- 5kg de Coques
- 200g d’échalotes
Faites dégorger les coquillages (2 à 12h). Dans une gamelle d’eau bouillante, plongez les pommes de terre grenaille entières ou les patates nouvelles coupées en 2 ou 4.
Faites frire l’andouille en fines rondelles jusqu’à ce qu’elles roussissent et que l’odeur soit irrésistible. Profitez-en pour vous servir un verre et becqueter les chutes, vous n’en serez que plus inspiré.
Ciselez les échalotes, faites frire au beurre au fond d’un fait-tout. Ajoutez ensuite le persil, puis déglacez avec le reste de bière (+/- 33cL). Versez les coques. Couvrez. Laissez cuire à feu moyen 5 à 10 minutes le temps qu’elles s’ouvrent. En fin de cuisson, ajoutez 100g de crème, remuez.
Dans l’assiette, déposez les patates, les coques en waterzoï, ajoutez les chips d’andouille et un peu de crème fraîche fermière.
Variantes à l’infini avec ce que vous avez sous le coude : du muscadet à la place de la bière, des pâtes fraîches à la place des pommes de terre, du lard ou du chorizo à la place de l’andouille. Tant que le combo coquillage, charcuterie, alcool est préservé, le gueuleton est assuré.
* astuce d’amateurs de graille : ajoutez la crème en fin de cuisson une fois le feu coupé pour qu’elle ne tranche à haute température.
Palourdes farcies au sarrasin
Pour 6 personnes
- 6 à 8 palourdes par personne, soit +/- 1kg
- 300g de beurre de baratte demi-sel
- 2 cuillères à soupe de farine de sarrasin
- 4 cuillères à soupe de graines de sarrasin torréfié (kasha)
- 1 botte de persil frisé
- 1 gousse d’ail
Mélangez le beurre pommade au persil ciselé et à l’ail écrasé, ajoutez la farine et les graines de sarrasin.
Ouvrez les palourdes à cru. Garnissez de farce à la petite cuillère. Passez sous le grill du four, à 210° pendant 5min.
Dégustez à la main et s’en lécher les doigts.

