- Client : Gueuleton magazine
- Réalisation : Rédaction d’un article sur la pêche durable en Finistère
- Année : 2022
- Partenaires : Élodie Villalon, photographe
La petite pêche du bout du monde
Par une douce soirée d’été, dans une brume caractéristique des journées de grandes chaleurs en Finistère, Loïc et Yvon nous embarquent sur le Labous Mor pour une sortie pêche hors du temps.
Sortie pêche sur un tout petit bateau au pied du plus haut phare du monde
Le bateau nous attend sur la petite cale de Lilia. La plage d’un hameau de Plouguerneau où débarquaient alors les petits bateaux de pêche, et d’où partent aujourd’hui les vedettes en direction du phare de l’île vierge, plus haut phare du monde. Érigé en 1897, allumé en 1902, il porte à 27 miles grâce à son imposante stature (82,50 mètres de haut, et pas moins de 383 marches à gravir pour en atteindre le sommet). Entre manche et mer d’Iroise, ce géant des mers veille sur le large, et sur notre équipage perpétuant la tradition contre vents et marées.
Ambiance brumeuse donc, ciel voilé, un peu de houle de nord ouest, 1,5 m de creux, du vent de nord ouest force 4… la routine pour les deux pêcheurs invétérés, une sortie un brin sportive pour les reporters que nous sommes. En mer depuis 6h du matin, l’équipage a les traits burinés par le soleil et les embruns lorsqu’ils viennent nous récupérer sur la cale en fin d’après-midi. Et la journée n’est pas finie ! Les casiers sont relevés au coucher du soleil, un spot de pêche à ligne fera l’objet d’une session de lancés sur le chemin, dans un bouillon secret qui ne sera pas révélé, évidemment.






images : Élodie Villalon
En Finistère, une histoire de familles de marins-cuisinier
Chez les Bleunven, on pêche de grand-père en fils, et on travaille en famille. Sur le “Labous Mor” la pêche est résolument engagée, d’abord pour le goût du bon produit, aussi pour préserver la ressource. Bar, lieu et pagre sont pêchés à la ligne, poulpe, homard crustacés casier. Tout ce qui est pêché est consommé. Les petits poissons sont utilisés comme appâts, au vif. Cette petite pêche côtière est aussi cuisinée de manière responsable : le poisson est tellement frais et précieux qu’il est préparé en intégralité ; rillettes, soupes et fritures permettant de valoriser toute la matière première. Ça invite à la créativité en cuisine, et réhabilite les recettes anti-gaspi de nos grand-mères.
Homard, araignées, page et lieu jaune a quelques miles des côtes
Nous voilà donc ce soir du 20 juillet, toujours dans la brume. Le Labous Mor s’aventure derrière l’île Vierge pour relever les casiers. La manœuvre est impressionnante, les garçons opèrent en cadence pour relever à la force des bras des installations de plusieurs dizaines de kilos. Et attention aux pieds, bouts et chaînes s’entremêlent savamment pour repartir aussitôt à la mer, la vitesse et le poids entraînant rapidement les casiers au fond. Les premiers casiers reviennent à vide, et enfin un tache bleutée transparaît dans une palette de vert de gris. Le homard bleu breton, roi de nos mers et de nos assiettes ! À pied, en plongée comme au casier, la maille réglementaire est de 8,7 cm, elle correspond à la longueur du céphalothorax, calculée des orbites à la première articulation. Un beau homard portion lui va faire 500 à 700 grammes, de quoi se faire plaisir.
Les araignées aussi sont de sortie, elles jonchent les fonds marins au printemps dans cette zone. La maille pour ces demoiselles c’est 12cm, longueur de carapace. Les petites ont un goût très fin, qui se passe de tout artifice, les plus grosses sont parfois farcies et rôties au feu de bois, une recette oubliée à se rouler par terre.
Quelques belles bêtes plus tard, les casiers repartis pour une nuit de pêche sous-marine au rythme du ressac, l’équipage se dirige vers les secteur de Lizen Ven, à quelques encablures de là. Nous traversons la mer d’Iroise, l’île Vierge à bâbord, l’île Vénan à tribord, passons la pointe Saint-Michel et arrivons à destination. Les cannes à pêche sont sorties, les lançons pêchés le matin même hameçonnés. Sur le Labous Mor c’est de la pêche au vif où rien, surtout quand il s’agit du lieu. Et le lieu jaune ne se fait pas attendre, les premières bêtes claquent de la queue sur le fond du bateau. Aussitôt péchés, ils sont saignés, vides et rincés avant d’être mis en caisse. Le geste est assuré et cadencé. Un balais d’eau de mer, de sang et d’écailles compose un tableau à l’esthétique brute. Et voilà une autre espèce inattendue, toujours pêchée au vif, un poisson aux reflets bleutés et rosés, aux formes douces et rondes, peu habituel. Le pagre ou brêle de mer a des petits airs de bar dans l’assiette, peu vendu en criée car peu connu, mais certainement digne d’un bon gueuleton !
Pêche locale et cuisine au feu de bois, les bonnes choses de mer nature
Mémé Lilia, c’est la matriarche de la famille Bleunven, mythique tenancière d’une institution gastronomique locale qui aurait pu tomber dans l’oubli, et c’est aujourd’hui le fameux resto familial. La pêche de Loïc est directement débarquée au bout du quai, Guillaume son fils cuisine les pièces entières au feu de bois en cuisine, servies à l’assiette ou dans des grands plats à partager, flanquées de pomme de terre grenaille du coin et arrosées de traditionnelles sauces au beurre monté qu’il a plaisir à revisiter. De la terrasse, on surveille l’horizon et on attend la marée pour composer le menu. Au comptoir, l’équipage boit un godet ou deux pour reprendre des forces, partage ses souvenirs de pêche avec les anciens. Les jours de grande pêche, les plus belles pièces sont vendues sur un étale improvisé devant la jetée. On vient pour se partager un lieu jaune de compétition, et on repart avec du homard pour le barbecue du lendemain. La vrai vie.
Et ce homard, on en parle ? Cuit fumé à l’étuvée au feu de bois, arrosé d’une sauce à l’estragon, beurre salé, crème, échalotes ; magistral. Dans l’assiette en céramique aux reflets océans, il se suffit à lui-même, une poudre d’épices et de crumble rappelle le charbon qui l’a transcendé, rien que ça.
